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La tomate du Nord

Un sujet chaud dans un climat froid

par Gwen O’Reilly

Les systèmes de production de légumes conventionnels et biologiques au Canada affichent de nombreuses différences, mais ils partagent une contrainte majeure: l’hiver. Notre climat, qu’on ne saurait qualifier de tropical, a encouragé la croissance de la production commerciale en serre de légumes tels que tomates, poivrons, concombres et laitue.

Les tomates constituent la plus large partie de la production canadienne en serre. Dans certaines provinces, 90% de toutes les tomates sont cultivées dans des serres1 – peut-être parce que plusieurs consommateurs ne sont pas heureux de se satisfaire de salsa et de tomates en conserves tout l’hiver. La production en serre conventionnelle représente maintenant une partie significative et en croissance du secteur agricole, comptant pour 2.5 milliards de dollars en valeur d’exploitation agricole.2 La demande pour les aliments biologiques et produits régionalement augmente de 15-25% annuellement, avec 75-85% de l’approvisionnement canadien en produits biologiques provenant de l’importation.3 Il s’ensuit que les producteurs du Canada s’orientent vers la production à longueur d'année de cultures de climats chauds.

Mais c’est ici que ça devient délicat pour les producteurs biologiques qui veulent s’aventurer dans une industrie dominée par l’agriculture conventionnelle. Les serres de petite taille ou passives, telles que les abris-serres et serres à arceaux, régulent l’accumulation de chaleur et d’humidité par l’évacuation vers l’air extérieur - malheureusement, ce n’est pas une option efficace pour les opérations qui s’étalent sur toute l’année. Les serres commerciales à grande échelle restent fermées pour contrôler la température, l’humidité et les taux de dioxyde de carbone (les plantes ont besoin de CO2 pour faire la photosynthèse et croître). Ces serres ont besoin de systèmes mécanisés pour chauffer, refroidir, déshumidifier et fournir de la lumière additionnelle aux cultures tropicales comme les tomates. La production en serre à l’année constitue donc un effort énergétique hautement intensif – qui consomme 12% de toute l’énergie utilisée en production agricole au Canada et relâche conséquemment 2 millions de tonnes de CO2 (au sens propre, «des gaz à effet de serre») dans l’atmosphère.4 L’industrie de la serriculture, incluant la production biologique, produit également des effluents depuis les sources de nutriments qui peuvent polluer les cours d’eau et les eaux souterraines.3 Au bout du compte, cela signifie que votre tomate de février est dispendieuse à plus d’un niveau.

La recherche est en cours pour créer des systèmes de culture en serre qui sont énergétiquement efficaces et bénins pour l’environnement. Les coûts d’énergie à la hausse ont déjà engendré des innovations chez les producteurs conventionnels tels qu’écrans thermiques, une meilleure isolation, une régulation sophistiquée des températures et de nouveaux designs structuraux. Les chercheurs de la Grappe scientifique biologique (GSB) veulent aller plus loin en évaluant la géothermie, la biomasse et les autres sources pour la chaleur, le refroidissement et la déshumidification, tout comme le recyclage, la capture naturelle ou la remédiation des effluents des serres.

Chauffer une structure translucide en hiver est une chose (les tomates ne se portent pas bien en dessous de 16°C); mais un environnement clos en serre présente des défis additionnels pour les producteurs biologiques. À la différence des producteurs conventionnels qui utilisent des systèmes hydroponiques, les producteurs biologiques doivent cultiver leurs plantes dans un médium de culture à base de sol (se référer à l’article Parfaire son mélange de cultures pour davantage de détails). Le sol augmente l’humidité et s’y ajoute le défi de réguler les populations de macro- et microorganismes, dont les bactéries, champignons et insectes. Les solutions d’engrais et de nutriments peuvent causer l’accumulation de sels dans le médium de culture (s’il est recyclé) ou une pollution potentielle des eaux souterraines s’il est relâché.6

Chauffer, refroidir, déshumidifier: sans effort

Les chercheurs de la GSB du Québec évaluent deux méthodes non traditionnelles de refroidissement et déshumidification dans les serres fermées de production biologique. L’une est un système de ventilation géothermique à l’eau froide, où l’air chaud et humide de la serre est soufflé à travers un serpentin refroidi par les eaux souterraines. L’air est refroidi et l’humidité se condense en circulant dans le serpentin.

La seconde méthode porte le nom intrigant de «rideau de gouttelettes d’eau», aussi appelée «échangeur de chaleur ouvert eau/air». Il s’agit de buses qui pulvérisent de fins rideaux d’une bruine froide depuis le plafond (la partie chaude) de la serre, entre les rangs de plantes, pour contrôler la chaleur et condenser l’humidité de l’air. Une averse de pluie par une chaude journée a un effet similaire. L’eau qui tombe capte la chaleur et l’humidité de l’air. L’eau s’accumule sur le plancher de la serre et est acheminée vers un réservoir extérieur où elle est refroidie avant d’être remise en circulation.

Les tests préliminaires montrent que tant le ventilateur géothermique que le rideau de gouttelettes peuvent refroidir et déshumidifier aussi efficacement qu’un réseau de ventilation. Ils comportent des avantages supplémentaires: 1) en prévenant la perte de chaleur qui survient dans les serres ventilées, et 2) en haussant le taux de dioxyde carbone.7

Les systèmes de capture de la chaleur peuvent aider à réguler les températures nocturnes. L’eau peut être mise en circulation pendant le jour à travers les aires chaudes de la serre pour absorber les radiations solaires, être mise en réserve dans un réservoir isolé, puis être remise en circulation après le coucher du soleil.8

La gestion des nutriments: une bonne chose en excès

La fertilisation des serres biologiques inclut l’utilisation de compost, de farine de varech, ou des substances concentrées récupérées telles que farines de crabe, crevettes ou plumes. Le ruissellement des engrais organiques (qui peuvent contenir de hautes concentrations de nitrate, phosphate et autres nutriments) a le même effet négatif sur les eaux souterraines que celui des composés dérivés de la chimie. Comme ce qui entre doit sortir, les chercheurs de la Grappe scientifique biologique: 1) étudient les moyens de réduire la charge de nutriments dans les effluents des serres en ajustant les niveaux et le calendrier de fertilisation pour mieux satisfaire les besoins des plantes, et 2) examinent la recirculation et la remédiation des effluents des serres.

Les chercheurs de la GSB, soient les Drs Martine Dorais, Valérie Gravel et leurs collègues, examinent l’impact de la recirculation des effluents sur la culture de tomates. Les plantes ont été cultivées dans divers médias de terre pendant trois ans. Les rendements des cultures étaient élevés en dépit de la salinisation accrue (accumulation de sel minéral) dans le médium de croissance.9 Les chercheurs ont déduit que la salinisation avait ultimement affecté la biomasse totale des plantes de tomates, mais non le rendement.6

Ces scientifiques de la GSB évaluent également l’utilisation d’un marais filtrant artificiel et de bioréacteurs passifs pour capter les excès de nutriments. Un marais artificiel est comme un marécage fait par l’homme – les eaux usées sont circulées à travers des nappes de gravier où sont plantées des espèces telles que massettes, joncs et iris. Il peut être établi à l’intérieur ou à l’extérieur de la serre (mais les marais filtrants ne fonctionnent pas lorsqu’ils sont gelés). Les plantes et microorganismes du marais assimilent et aident à dégrader les nutriments en excès et certains composés toxiques. Le ruissellement qui en ressort est plus propre et peut être relâché dans les cours d’eau naturels sans impacts environnementaux négatifs.5

Non seulement les nutriments s’accumulent dans les effluents – les agents pathogènes et phytotoxines le font tout autant, ce qui a incité les scientifiques de la GSB à examiner si les marais artificiels inoculés avec du biochar et des «bioréacteurs passifs» peuvent éliminer ces problèmes additionnels.10,11 Le biochar – un charbon fait en brûlant copeaux de bois, écorce d’arbre et autres biomasses - est le dernier cri en matière d’amendements. Comme amendement du sol, le biochar peut augmenter l’activité microbienne et l’échange de nutriments. Il est aussi utilisé pour filtrer les impuretés des effluents, incluant les nutriments et agents pathogènes en excès. Les études de la GSB montrent que ces techniques sont efficaces à plus de 99.99% pour retirer les agents pathogènes Fusarium et Pythium des effluents des serres.12

Les bioréacteurs passifs ressemblent davantage à une fosse septique qu’à un marais artificiel et sont utilisés spécifiquement pour traiter le drainage des mines. Ils utilisent une combinaison de réactions écologiques (microbiennes) et géochimiques pour retirer les métaux des effluents et tamponner leur acidité. Les plantes de ces systèmes ajoutent de la matière organique et stimulent l’activité microbienne, mais ne constituent pas la principale source de captage. Une fois établis, les bioréacteurs s’auto-entretiennent et peuvent fonctionner pendant plusieurs années en ne requérant qu’un minimum d’interventions.

Que la lumière soit

Un enjeu significatif pour les producteurs nordiques est l’éclairage d’appoint – les journées sont trop courtes en hiver pour que rougissent les tomates. Les légumes fruitiers requièrent de plus longues photopériodes pour fleurir et se développer. Une production toute l’année ou même en saison prolongée nécessite l’ajout d'éclairage. Les chercheurs de la GSB dirigés par les Drs Steeve Pépin et Martine Dorais ont comparé l’effet de l’éclairage d’appoint tant dans les serres conventionnelles que biologiques et observé qu’il n’y avait pas de différence significative entre les rendements des cultures de tomates biologiques et conventionnelles.13

Les lampes à vapeur de sodium à haute pression et haute intensité peuvent fournir de la chaleur tout comme de l’éclairage dans la serre et les chercheurs expérimentent de nouvelles façons d’utiliser l’éclairage plus efficacement. Par exemple, ils évaluent le potentiel de l’utilisation de lumière à l’intérieur du couvert de feuilles de la culture plutôt que, ou en parallèle à l’éclairage au-dessus de la canopée.

D’autres techniques établies impliquent l’utilisation de l’éclairage photopériodique, où l’éclairage d’appoint est conjugué aux heures de clarté afin de prolonger la photopériode lorsque les jours sont courts. L’éclairage d’appoint peut aussi être utilisé dans un but similaire pour suspendre la noirceur pendant quelques heures. Pour des épargnes énergétiques importantes, le cycle d’éclairage peut être programmé à «on» et «off» chaque demi-heure pour 6-10 minutes au cours de la photopériode. Un éclairage à plus haute intensité peut aussi être utilisé dans des intervalles de temps limités et ciblés lorsque, par exemple, une culture est jeune. La hausse de l’éclairage produit une meilleure croissance chez les jeunes plants par rapport aux plants plus âgés, et comme les semis sont habituellement cultivés sous haute densité, l’aire à éclairer est moins importante.14

Les chercheurs de la GSB ne font pas que tester les nouvelles technologies, ils quantifient également l’impact environnemental de la production biologique en serre. Dorais et son équipe ont évalué l’empreinte environnementale de la production en circuit fermé de la tomate biologique «nordique» en serre. Ils ont tout évalué, depuis l’extraction de la matière brute jusqu’au moment où le produit quitte la ferme, en incluant l’infrastructure et l’équipement, le contrôle climatique, la gestion des déchets, les engrais, pesticides et l’emballage. En comparaison d’une opération conventionnelle similaire, le système biologique affiche un impact environnemental significativement moindre dans toutes les catégories, à l’exception des structures de la serre et de l’emballage. L’utilisation de la biomasse du bois comme source renouvelable d’énergie pour le chauffage a réduit par près de sept fois le taux de l’empreinte du CO2 d’un kilogramme de tomates en production conventionnelle. L’évaluation de l’engrais utilisé en production biologique a aussi montré un impact environnemental significativement plus bas dans toutes les catégories, plus remarquablement au niveau de l’eutrophisation (les effets sur les eaux de surface du ruissellement des engrais).15

Les scientifiques continuent de chercher de meilleures méthodes pour produire toute l’année les tomates biologiques dans les pays du Nord. Cependant, ces tomates produites sous régie biologique en février sont toujours plus dispendieuses en infrastructure et en énergie que les pommes d’amour jardinées et vieillies sur la vigne. Jusqu’à ce que nous apprenions à survivre en hiver avec des tomates en conserve, en bouteille ou séchées, les producteurs canadiens peuvent avoir recours aux solutions maison de la GSB pour réduire les coûts environnementaux de la tomate d’hiver, et espérer accéder à une «tranche» de ce marché juteux.

Cet article est d’abord paru dans l’édition spéciale Été2012 du “Canadian Organic Grower” consacrée à la recherche.Cette édition spéciale du TCOG est publiée grâce au soutien de la Grappe scientifique biologique. Les projets de la Grappe scientifique biologique décrits dans cet article ont été financés par Agriculture et Agroalimentaire Canada, L’Abri végétal SENC, Les Productions Horticoles Demers, Les Serres Jardins-Nature, Les Serres Nouvelles Cultures et Les Serres Sagami 2000 Inc.

La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) fait partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du cadre stratégique Cultivons l’avenir d’, une initiative fédérale-provinciale-territoriale. La GSB est dirigée par le Centre d’agriculture biologique du Canada et par le demandeur principal de l’industrie, la .


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  1. Canadian Greenhouse Tomato Production. AAFC.
  2. Statistics Canada. 2011. Greenhouse, Sod and Nursery
    Industries.
  3. Agri-Food Trade Service. 2010. .
  4. Statistics Canada. 2005. As cited in OSC. 2010. C.7: Feasibility of using geothermal energy as heat and humidity control for an organic greenhouse tomato crop.
  5. Levesque, V, M Dorais, V Gravel, C Menard, H Antoun, P Rochette & S Roy. 2011. The use of artificial wetlands to treat greenhouse effluents. Acta Hortic.1185–1192
  6. Gravel, V, M Dorais, C Menard & S Pepin. 2012. Soil salinization of organically-grown greenhouse tomato. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  7. Vallieres, M, M Dorais, D de Halleux & M-H Rondeau. 2012. Comparison of two cooling and dehumidifying methods for a semi-closed organic tomato greenhouse. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  8. Hoes, H, J Desmedt, K Goen & L Wittemans. 2008. The Geskas Project. Acta Hortic. 801:1355–1362.
  9. Gravel, V, M Dorais, C Menard & S Pepin. 2012. Organic greenhouse tomato production in a closed system. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  10. Gruyer, N, M Dorais, B Alsanius & GJ Zagury. 2012. The use of passive bioreactors to simultaneously remove NO3, SO4 and plant pathogens from organic greenhouse effluent. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  11. Bolduc, M, M Dorais, V Gravel, P Rochette & H Antoun. 2012. Enrichment of artificial wetlands with biochar to improve their efficiency and reduce N2O emissions. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  12. Gruyer, N, M Dorais, GJ Zagury & BW Alsanius. 2012. A passive biological approach to remove plant pathogens from an organic greenhouse effluent. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  13. Dorais, M, S Pepin, L Gaudreau, C Menard & R Bacon. 2012. Organically grown greenhouse tomato under supplemental lighting. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  14. Runkle, E & AJ Both. 2011. Energy Conservation for Greenhouses. Michigan State Univ. Ext. Bull. E3160.
  15. Dorais, M, A Anton, M Torrellas & JI Montero. 2012. Environmental assessment of an organic integrated greenhouse tomato crop grown under Northern conditions. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.