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De multiples petits marteaux

Gestion Ă©cologique des mauvaises herbes

par Av Singh

Si vous faites des gageures et que dans un coin, vous avez des types tels Arsenal, Balle, Gangster, Bandit armĂ© et Escadron, et de l’autre cĂ´tĂ© vous avez vinaigre, acide citrique et peut-ĂŞtre le duo dynamique «Ěýessence de girofle et de cannelleĚý»,Ěý qui d’après vous gagnerait cette «Ěýguerre des mauvaises herbesĚý»?

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L’agriculture industrielle se base sur l’approche du « gros marteauĚý» pour un contrĂ´le efficace des mauvaises herbes. Ce marteau est, Ă©videmment, l’herbicide. L’approche Ă©quivalente en production biologique serait le travail du sol. Le travail du sol est non seulement intensif en consommation de diesel, mais lorsqu’utilisĂ© frĂ©quemment ou de manière inappropriĂ©e, il peut ĂŞtre dĂ©vastateur pour la structure et la vie du sol. Les herbicides et le labour contrĂ´lent les mauvaises herbes directement; mais Ă  cause de cela, ils peuvent ĂŞtre moins efficaces face Ă  un large Ă©ventail de mauvaises herbes. Ils fonctionnent seulement sous certaines conditions atmosphĂ©riques et sous certains types de gestion des cultures.

La phrase “de multiples petits marteaux” a Ă©tĂ© inventĂ©e pour dĂ©crire les multiples stratĂ©gies disponibles dans la boĂ®te Ă  outils de l’agriculteur biologique. Ă€ la ConfĂ©rence scientifique canadienne sur l’agriculture biologique de 2012, le Dr Eric Gallandt a rĂ©sumĂ© l’approche ainsiĚý: «ĚýL’idĂ©e derrière les petits marteaux est que…nous avons commencĂ© par observer les multiples points du cycle de vie des mauvaises herbes. Nous avons la compĂ©tition très importante culture-mauvaises herbes, nous avons la prĂ©dation qui peut survenir, nous avons le pourrissement des semences des mauvaises herbes… nous avons les processus qui affectent la germination. Toutes ces stratĂ©gies exploitĂ©es de manière appropriĂ©e peuvent rĂ©duire la performance des mauvaises herbes.Ěý»1

La gestion Ă©cologique des mauvaises herbes semble faire du bon sens, mais plusieurs agriculteurs et jardiniers sont attirĂ©s par la solution magique qui rĂ©soudra un «ĚýproblèmeĚý» et demeureront illusionnĂ©s par l’état d’esprit du «Ěýgros marteauĚý». Une approche systĂ©mique n’est pas linĂ©aire et ses fondations sont basĂ©es sur la reconnaissance que le système est complexe et que ses composants (cultures, sols, mauvaises herbes, insectes et microorganismes) sont constamment en interaction. En reconnaissant la complexitĂ© du système, l’agriculteur dĂ©couvre plusieurs pistes pour gĂ©rer les mauvaises herbes et commence Ă  comprendre comment chaque dĂ©cision peut nĂ©gativement ou favorablement affecter les mauvaises herbes. Les chercheurs canadiens, dont ceux qui participent Ă  la Grappe scientifique biologique (GSB), explorent les approches systĂ©miques pour dĂ©velopper des outils et des stratĂ©gies de gestion des mauvaises herbes.

Première étape – prévenir le problème par la conception

La Dre E. Ann Clark, autrefois professeure Ă  l’UniversitĂ© de Guelph et militante de longue date pour l’agriculture biologique, dĂ©finit l’agriculture biologique comme Ă©tant, «Ěýla prĂ©vention des problèmes par la conceptionĚý». Évidemment, il s’agit indiscutablement du premier outil d’importance pour la gestion des mauvaises herbes – concevoir un système qui minimise les mauvaises herbes. Ă€ quoi ça ressemble? Ça va du choix de cultures favorables aux conditions du sol Ă  la pratique de la rotation des cultures.

La bataille sera ardue si les conditions du sol ne conviennent pas aux besoins des cultures. Par exemple, les mauvaises herbes envahissent les champs de bleuets lorsque le pH favorise les graminĂ©es et non les bleuets.Ěý Utiliser du soufre Ă©lĂ©mentaire pour abaisser le pH peut engendrer une rĂ©duction remarquable des graminĂ©es adventices.

Des rotations de cultures créatives bien planifiées peuvent aussi avoir une influence substantielle sur les populations de mauvaises herbes. Des rotations rapprochées où le sol est rarement à découvert ne laissent pas d’espace aux mauvaises herbes.

Une rotation diversifiĂ©e est aussi connue pour empĂŞcher les mauvaises herbes de devenir «ĚýconfortablesĚý» avec leur environnement. Certains types de mauvaises herbes peuvent s’habituer aux modèles de plantation. Par exemple, les mauvaises herbes annuelles s’adaptent bien aux labours frĂ©quents. Les communautĂ©s de mauvaises herbes s’adaptent aussi aux cycles des cultures. Mettre en rotation une culture pĂ©renne Ă  long terme, telle que la luzerne, avec des lĂ©gumes brisera le cycle des mauvaises herbes annuelles.Ěý Alterner les cultures de saison chaude (p.ex. le maĂŻs) et de saison froide (p.ex. le blĂ©), tout comme alterner entre des cultures de printemps et d’hiver, peut aussi affecter les cycles des mauvaises herbes.

À l’Université de la Saskatchewan, les chercheurs de la GSB, dirigés par le Dr Steve Shirtliffe, explorent l’hypothèse suivant laquelle des rotations de cultures diversifiées auront pour effet de diminuer la banque de semences, diminuer l’émergence des mauvaises herbes, et conséquemment, de réduire les pertes résultant de la pression par les mauvaises herbes.

Lorsque le labour est requis, assurez-vous d’utiliser les meilleures techniques qui répondront à vos besoins. La gestion des mauvaises herbes entre les rangs est relativement facile avec l’utilisation de houes rotatives à pointe et de herses bineuses. Au contraire, une planification minutieuse (basée sur vos ressources en équipement et main d’œuvre) est nécessaire pour le désherbage à l’intérieur des rangs. Une plantation dense peut inhiber la croissance des mauvaises herbes, mais peut produire de plus petits fruits ou être plus sujette à la maladie. La plantation clairsemée permet le travail autour des plantes, mais peut produire un rendement moins élevé à l’acre.

La combinaison de plusieurs petits marteaux proactifs peut produire une force d’ensemble qu’un gros marteau ne peut Ă©galer.Ěý Dilshan Benaragama, un Ă©tudiant des cycles supĂ©rieurs sous la supervision de Shirtliffe, a examinĂ© comment le contrĂ´le des mauvaises herbes et les rendements d’avoine peuvent ĂŞtre affectĂ©s parĚý: 1) le choix de cultivars compĂ©titifs; 2) des plantations Ă  haute densitĂ©; 3) un espacement Ă©troit entre les rangs; 4) un hersage des mauvaises herbes postlevĂ©es.

Chaque pratique a aidĂ© Ă  contrĂ´ler les mauvaises herbes Ă  un certain degrĂ©, mais le plus haut niveau de suppression a Ă©tĂ© observĂ© en utilisant tous ces facteurs ensemble, ou encore comme des petits marteaux. Cela a diminuĂ© la biomasse des mauvaises herbes de 71Ěý% en comparaison des pratiques courantes.2

Deuxième étape – connaître l’ennemi

Pour être honnête, “l’ennemi” semble plutôt coriace si on considère que les mauvaises herbes jouent des rôles importants dans les écosystèmes agricoles, de la hausse de la biodiversité à l’établissement d’habitats pour les insectes bénéfiques, au recyclage des nutriments et au maintien d’une couverture du sol. Cependant, il est impératif que les producteurs biologiques connaissent les cycles de vie des mauvaises herbes, les conditions de croissance, comment elles s’étendent, la dormance des semences et la germination.

Mais ce qui importe davantage, c’est que les agriculteurs reconnaissent comment une mauvaise herbe particulière affectera la productivité de la culture désirée – fera-t-elle concurrence pour l’eau et les nutriments, introduira-t-elle la maladie ou affectera-t-elle la récolte? Par exemple, le plantain dans les vergers peut exacerber les problèmes de ravageurs (tel que décrit dans l’article ). Par ailleurs, les mauvaises herbes peuvent soutenir les populations d’organismes bénéfiques qui détruisent les ravageurs (pour davantage de détails, consultez l’article ).

En connaissant intimement une mauvaise herbe, vous identifiez ses vulnĂ©rabilitĂ©s, savez quand frapper et quelle tactique est la plus efficace. Traditionnellement, la rĂ©gie biologique du chardon des champs consistait Ă  labourer Ă  un temps appropriĂ© pour dĂ©truire les rhizomes.Ěý Cette approche Ă©tait discutable, car le travail du sol aide parfois Ă  Ă©pandre la mauvaise herbe. Les chercheurs et les agriculteurs ont dĂ©veloppĂ© leurs connaissances du chardon des champs. Ils ont observĂ© que la rĂ©duction des rĂ©serves racinaires et de la production de semences par le fauchage, couplĂ© Ă  une culture-abri inhibitrice de mauvaises herbes telle que la luzerne, peut presque Ă©radiquer le chardon des champs. Le chardon est ciblĂ© Ă  diverses Ă©tapes de sa vieĚý: 1) lors du fleurissement par le fauchage, et 2) au stade de la formation des rosettes par une culture-abri compĂ©titive.

Lors de l’utilisation d’une approche multitactique, l’efficacité de chaque tactique peut être moindre que l’approche du gros marteau, mais un autre petit marteau va compléter le travail.

Labour réduit et cultures-abris
Au Manitoba, les chercheurs de la GSB dirigĂ©s par le Dr Martin Entz Ă©tudient l’utilisation des cultures-abris et le travail rĂ©duit du sol pour contrĂ´ler les mauvaises herbes. Ă€ ce jour, les rĂ©sultats suggèrent queĚý:

Les cultures-abris de seigle et d’orge semées en automne peuvent fournir un contrôle des mauvaises herbes tôt en saison chez les haricots de grande culture, avec une activité de suppression plus grande du seigle. Cependant, sous des conditions d’absence totale de labour, la croissance hâtive de la culture peut souffrir de la concurrence du seigle pour la lumière et/ou l’azote, ou de la froideur du sol (à cause de l’ombre projetée par le seigle).3

Dans les Prairies canadiennes, tuer la culture-abri pois/orge (engrais vert) Ěýavec un rouleau Ă  lames ou une dĂ©broussailleuse rĂ©sulte en une plus grande pression par les mauvaises herbes et moins d’azote disponible qu’en tuant la culture avec un cultivateur Ă  longue lame ou par labour traditionnel.4

Des paillis épais d’engrais verts, tels que la vesce velue, pourraient être utilisés dans une plantation sans labour. Les cultures-abris sont plantées au printemps avant la plantation de la culture et tuées en milieu d’été (lors du fleurissement) avec un rouleau. Les cultures ont été plantées l’automne suivant.5

Troisième étape – avantager vos cultures

Dans le monde sportif, on dit que la première ligne de dĂ©fense est une bonne attaqueĚý: c’est la mĂŞme chose pour les mauvaises herbes. Les cultures Ă  croissance rapide en santĂ© dans des conditions de croissance optimales peuvent souvent mettre les mauvaises herbes hors concurrence.

Comme l’agriculture biologique a Ă©voluĂ©, le compost, le thĂ© de compost, l’irrigation fertilisante et les biofertilisants permettent d’effectuer une gestion plus prĂ©cise des nutriments que les applications gĂ©nĂ©rales de dĂ©jections animales sur un champ. Lorsque l’eau peut ĂŞtre un facteur limitant, l’irrigation au goutte-Ă -goutte peut favoriser la culture au dĂ©triment des mauvaises herbes. Des paillis synthĂ©tiques opaques, Ěýtels que le plastique noir et les tissus Ă  trame et Ă  chaĂ®ne de rĂ©sine de polyĂ©thylène, peuvent rĂ©duire la germination des semences de mauvaises herbes etĚý les heures de dĂ©sherbage.

Au Collège d’agriculture de Nouvelle-Écosse, une équipe de recherche dirigée par le Dr Andy Hammermeister explore les stratégies de gestion des mauvaises herbes en production de cassis biologique. Les chercheurs évaluent le labour, le fauchage, l’utilisation de l’acide acétique et de divers paillis biologiques et artificiels. Les résultats préliminaires suggèrent que l’utilisation de paillis artificiels, tels que le plastique noir et le tissu noir, servent à hausser la croissance de la plante en comparaison de la stratégie du fauchage.

Une autre technique, la solarisation,Ěý consiste Ă  utiliser un plastique clair sur le sol avant de planter. Cela stimule le rĂ©chauffement du sol et la germination des semences de mauvaises herbes mais, Ă  cause de la chaleur intense, la plupart des semis de mauvaises herbes meurent avant que les cultures soient plantĂ©es.

Il est important pour les fermiers de choisir des variétés bien adaptées à leurs conditions. Les chercheurs de la GSB qui travaillent dans les prairies développent des variétés de blé et d’avoine adaptées à la régie biologique. De nombreux agriculteurs biologiques doivent présentement planter des variétés qui ont été sélectionnées sous régie conventionnelle et ne sont pas les mieux adaptées pour contrer la pression exercée par les mauvaises herbes et la disponibilité des nutriments sur les fermes biologiques.

La dernière étape – ne jamais cesser d’entreprendre de nouvelles étapes

Les désavantages liés à la stratégie des gros marteaux ne se limitent pas aux seuls dommages environnementaux découlant de l’utilisation excessive d’herbicides et de labour – ils minimisent la connaissance requise pour vraiment comprendre un système complexe. Simplifier la nature pour en arriver à une seule tactique de contrôle des mauvaises herbes diminue le potentiel synergétique du recours à de multiples solutions. En comprenant l’écologie des mauvaises herbes, l’agriculteur développe une connaissance profonde des faiblesses des mauvaises herbes et peut les exploiter en employant une variété de tactiques tant spatiales que temporales pour les stresser et les détruire.


Cet article est d’abord paru dans l’édition spĂ©ciale ÉtĂ©Ěý2012 du “Canadian Organic Grower” consacrĂ©e Ă  la recherche.ĚýCette Ă©dition spĂ©ciale du TCOG est publiĂ©e grâce au soutien de la Grappe scientifique biologique. Les projets de la Grappe scientifique biologique dĂ©crits sont financĂ©s par Agriculture et Agroalimentaire Canada et les partenaires de l’industrie, Anne’s P.E.I. Farm, l’Association canadienne des producteurs de semences, la Commission canadienne du blĂ©, Grain Millers Canada, Nature’s Path Foods Inc., Prairie Oat Growers Association et la province de l’Île-du-Prince-Édouard.

La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) fait partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du cadre stratégique Cultivons l’avenir d’, une initiative fédérale-provinciale-territoriale. La GSB est dirigée par le Centre d’agriculture biologique du Canada et par le demandeur principal de l’industrie, la .

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  1. Gallandt, E. 2012. Many little hammers. Presentation at the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  2. Benaragama, DI & SJ Shirtliffe. 2012. Integration of cultural and mechanical weed control strategies enhance weed control in organic cropping systems. Proceedings of 2012 Canadian Organic Science Conference.
  3. Evans, RL, MH Entz & YE Lawley. 2012. Cereal cover crops for early season weed control in organic field beans. Proceedings of 2012 Canadian Organic Science Conference.
  4. Podolsky, K, R Blackshaw & M Entz. 2012. Comparing reduced tillage implements for termination of cover crops. Proceedings of 2012 Canadian Organic Science Conference.
  5. Halde, C, RH Gulden, AM Hammermeister, KH Ominski, M Tenuta & MH Entz. 2012. Using mulches to reduce tillage in organic grain production in Western Canada. Proceedings of 2012 Canadian Organic Science Conference.

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